Le Progrès: 31 mai 1916 – L’arrivée de nos hôtes (1)

Depuis que avons su que nous devions recevoir des soldats anglais malades, une question revenait journellement sur nos lèvres. Quand arrivent-ils? Et chacun se préparait.  Lorsque samedi les “officiels” nous ont dit: Ce sera pour mardi, le bran-le-bas a été général; et il est de fait que la population a largement manifesté sa sympathie aux malheureuses victimes de l’affreuse guerre qui terrorise l’Europe, le monde entier.

Dans la journée de lundi, les maisons se sont pavoisées.  La rue du vieux bourg était superbe; un grand nombre de chalets étaient décorés avec goût; au haut du vieux clocher flottaient la croix blanche helvétique et le vert et blanc drapeau du canton de Vaud qui semblaient refléter les montagnes d’alentours encore tachées de leur hivernale parure.

De mignonnes fillettes, telles de blanches fleurettes, couraient les rues, offrant au profit de la Crois-Rouge anglaise, des rubans et drapeaux aux couleurs des Alliés. La gare disparaissait sous la verdure et, sur la magnifique terrasse qui l’entoure, des tables, des bancs attendaient ces quelque 250 héros, pour lesquels une collation – du thé et des beurrées – avait été préparée.

Le mardi matin, le soleil s’efforce de percer les nuages; malheureusement, de lourds nuages traînent obstinément le long des montagnes empêchant le public de jouir de la vue superbe qui charme toujours les yeux de ceux qui nous visitent pour la première fois.

Le premier train de blessés arrive à 09h30; mais, longtemps avant, la population se presse sur cette esplanade et les pompiers, dont le service d’ordre a été parfait, ont fort à faire à retenir tout ce monde. Et, pourtant, tout s’est passé le plus correctement possible. L’émotion, pur une part, serrait le coeur de tous et personne n’eût l’idée de se livrer à des démonstrations déplacées. Toute la vallée était là.  Nous avons vue des gens de l’Etivax, de Rougemont, de Rossinière, de plus loin encore.

Puis voici venir la fanfare en grande tenue, bannière en tête, les enfants des écoles, les blanches “petiotes”, puis les autorités: M. le préfet, le président du Conseil communal, le syndic, le comité de réception; puis ceux et celles que la circonstance a attirés: Son Excellence l’ambassadeur d’Angleterre à Berne, arrivé d’hier avec son attaché militaire, les dames anglaises, les dames et demoiselles du pays, accourues pour servir le thé aux officiers et soldats anglais, le corps des éclaireurs, la gendarmerie, les journalistes et qui sais-je encore. De la cure à la gare ce n’est qu’une grappe compte de toilettes claires, de drapeaux aux brillantes couleurs.

Et voici le train, la Montagnarde joue le chant national anglais, qui est en meme temps notre vieil hymne suisse; enfin un immense cri: Hip! Hip! hourras! Peu à peu tout le monde descend, les blessés, les estropiés qui péniblement arrivent sur le quai, les officiers, les soldats, tout le monde. Nous remarquons dans la foule M. le colonel Picot, le colonel sanitaire suisse Leuch, le major Mercanton, M. Zehnder, directeur du M.O.B., le commandant de la gendarmerie, le sympathique et honorable correspondant du Times, d’autres encore.

Peu à peu, chacun prend place et c’est alors que l’on peut voir toutes ces figures guerrières, calmes, fatiguées cela va sans dire, mais pas démoralisées pour un sou et visiblement satisfaites de l’accueil reçu. Une fois l’ordre établi et chacun servi, M. Ch. Favrod-Coune, president du Conseil communal, en quelques brèves et excellentes paroles souhaite la bienvenue à ces malheureux que le destin nous envoie; il sait que ce sont des soldats, des hommes habitués à la discipline; il est certain que d’excellents rapports s’établiront entre eux et nous, il désire que, sous notre beau ciel, ils trouvent un soulagement à leurs maux.  Son Excellence le ministre anglais lui répond et dans un beau langage bien flatteur pour nous il dit sa reconnaissance pour la réception que nous avons préparée a ses concitoyens; il rappelle les bons et vieux liens d’amitié qui nous lient à son pays; il nous parle de nos vieilles gloires militaires et souhaite que le départ de ceux que nous recevons aujourd’hui provoque en nous quelque regret.

M. Lampen, le pasteur anglais de Château-D’Oex, adresse encore à tous d’aimables paroles et fait pousser un vigoureux vivat à Suisse, au canton de Vaud.

Entre temps, le second train est arrivé, salué avec autant de chaleureux enthousiasme que le premier. Maintenant tout le monde est là: 30 officiers et 218 soldats. Les conversations vont leur train; des connaissances d’ébauchent et c’est près de midi quand ces braves, qui doivent en avoir assez, gagnent leur quartier et que, peu à peu, la foule, profondément impressionnée, se retire.

Et la population du Pays-d’Enhaut, accourue nombreuse, attirée par sympathie plus encore que par curiosité, ne s’est peut-être pas bien rendu compte qu’elle venait de vivre une journée telle que l’histoire de notre pays en enregistre bien peu de pareilles.

Qu’on nous permette, pour terminer, de rappeler deux mots cités plus haut et qui résument bien les impressions ressenties en ce jour: Soyez les bienvenus et que votre départ soit pour tous, est pour vous et pour nous, accompagne d’un peu de tristesse.

G.-B